Prendre sa vie en mains

Je me suis beaucoup lamentée cet hiver, lors de l’interminable épidémie de grippe qui m’a laissée sur le carreau pendant plusieurs semaines, sur mes conditions de vie et d’exercice (alors que je sais pertinemment que je ne suis pas à plaindre, mais bon, des fois, même sans être « à plaindre », on est malheureux…)

Depuis que je vais mieux, que j’ai à nouveau plus de temps, j’ai décidé d’entamer une thérapie (comme je le mentionnais dans mon témoignage sur le blog « En aparté »)

Ce n’est pas une démarche facile, et je l’ai initiée dans l’idée de préparer mon virage professionnel: travailler sur mes motivations, mes résistances, les limites que je me mets, etc… Et puis pour mieux vivre le présent en attendant de pouvoir exercer autrement.

Dernièrement, alors que j’exprimais mon impression d’être prise à la gorge par certains patients, d’être prisonnières de cette demande de soins incessante, ma thérapeute m’a expliqué le mécanisme de certaines relations dysfonctionnelles, les jeux de pouvoirs modélisés par Karpman dans son « Triangle Dramatique ».

ImageLire aussi ici pour en savoir plus.

Et me voici donc en train de comprendre mon « syndrome du sauveur » (tous ces gens ne peuvent pas se passer de moi, je dois me rendre disponible pour eux, même au détriment de ma vie familiale) et mon statut de victime en corrélation (tous ces patients qui consultent pour un rhume à 21h sans se soucier de savoir si ma vie de famille n’en pâtit pas) ainsi que de persécuteur à mes heures (j’ai eu la surprise de me retrouver à être très désagréable avec certains patients alors que ce n’est pas du tout mon genre normalement…)

Bref, je vous parle de cela parce que ça a été une découverte fascinante pour moi, du coup j’ai envie de la partager, et parce que ça m’aide à prendre conscience de ce qui se joue dans certaines relations (au niveau familial c’est assez instructif également…) Après, pour en sortir, c’est une autre histoire, mais la prise de conscience c’est le 1er pas.

De mon côté, sur le plan professionnel, j’en suis arrivée à la conclusion que si je ne fixe pas une heure (au moins théorique) pour mon dernier rendez-vous, il n’y a aucune chance pour que je réussisse à maitriser mon planning.

Jusqu’ici, quand on me demandait « vous consultez jusqu’à quelle heure? » je répondais « je n’ai pas d’heure, ça dépend de la demande »

Désormais, je dirais « 18h30 ».

Et là je vois (ou je crois voir?) les yeux qui s’écarquillent…

18h30?

Pour un MEDECIN?

GENERALISTE en plus?

Ça, c’est ce que j’imagine. La peur de donner de moi l’image d’une flemmarde. C’est pour ça que je n’ai jamais osé… Un médecin généraliste, ça finit forcément tard, c’est forcément débordé…

Comment vont faire tous ces patients qui travaillent tard, et qui ne peuvent venir qu’après le boulot? Que vais-je dire à ceux qui me lanceront « Ouais, c’est ça, et après 18h30, vous, vous serez avec vos gosses, mais nous on peut crever la gueule ouverte » Comment vais-je assumer face à ces collègues qui terminent épuisés après 21h?

J’ai été formée (formatée?) à l’hôpital, j’ai fait des gardes au cours desquelles c’est juste normal de ne pas manger, de ne pas dormir, de ne pas prendre le temps d’aller pisser… Être joignable, tout le temps. Normal: continuité des soins oblige.

Et comme je le disais moi-même à certains patients qui me disaient cet hiver « haaaan, mais vous finissez taaard« : « si on veut des horaires « de bureau », fallait pas faire médecine, et surtout pas devenir généraliste« .

Voilà. Le sacerdoce, touça…

Et puis  j’ai beaucoup remplacé dans un cabinet où il n’y avait pas d’heure de dernier RDV… Et où on accueillait (en râlant, mais quand même) les patients d’un médecin de la même bourgade, qui elle « fermait » à 18h30, et qui voulaient (avaient besoin?) être vus le soir même… Et où on la critiquait beaucoup (c’est trop facile de fermer à 18h30 quand c’est les autres qui se tapent son boulot)

Oui mais voilà, à terme, c’est juste pas vivable, je crois…

Je vais donc essayer de mettre des limites le soir, et je ne travaillerai plus le mercredi. Je répartis autrement…

Et puis comme ça, ça fera déjà un tri dans les patients, et ça préparera le jour où je dévisserai ma plaque (Je suis déjà en train de me flageller à cette idée en me demandant « comment je vais pouvoir leur faire ça, à ces gens qui m’ont choisie, qui comptent sur moi, qui ont quitté leur médecin pour moi, et moi je les abandonne à leur triste sort »… Ma thérapeute à de beaux jours devant elle ^^)

Je me rends bien compte que les horaires théoriques que j’ai fixés vont être difficiles à tenir en pratique, mais ils ont au moins le mérite d’exister.

Je voulais vous les copier ici, mais si par hasard un patient du cabinet passait par là, je crois qu’il me reconnaitrait tout de suite!

Ceci dit, pour les collègues qui travaillent sur RDV, si vous voulez me raconter comment vous faites, vous, ça me ferait plaisir de vous lire, et ça m’aiderait, aussi, à me positionner…

En tout cas, je suis en chemin vers un exercice plus serein…

J’espère que je rassemblerai assez de force cet été pour faire face à la prochaine saison des épidémies…

15 réflexions au sujet de « Prendre sa vie en mains »

  1. J’ai fais le choix de gagner moins d’argent, puis
    J’ai fais le choix de ne plus travailler le jeudi il y a quelques années, puis
    celui de ne plus voir 30 personnes par jour (jusqu’à quelques pointes à 55 en hiver), puis
    J’ai encore fais le choix de mettre le dernier rdv à 18h15.
    Je ne vois plus que 20 à 25 personnes par jour.
    Horaires : 8h30 – midi / 15h15 – 19h00 sauf mercredi (17h30) plus 3 visites par semaine environ.
    35 heures par semaine paperasses comprises.
    Je suis à la maison vers 19h30 le plus souvent, 18h le mercredi.
    Ça s’est fait en douceur, malgré le départ en retraite de mon collègue (je suis maintenant seul).
    Ça a mis 12 ans.
    Les patients sont passés où ? Je ne sais pas mais je n’ai jamais eu de reproche.
    La prochaine étape : ne plus travailler le samedi.
    Comme cela a été dit, je pense que l’important est d’être en accord avec soi-même, en fonction de la période de vie dans laquelle on se trouve.
    Si je vais bien dans ma vie, ma famille en tire bénéfice et mes patients aussi.
    Ceux qui ne le comprennent pas s’en vont consommer du médecin.
    De mon côté j’accepte de ne pas avoir été là quand ils ont vraiment eu besoin de moi;
    j’accepte aussi d’avoir baissé mon chiffre de 30%; ce n’est pas toujours évident.

    Merci pour ton blog !

  2. Merci pour ce partage qui nous montre à, nous patients, le point de vue du généraliste. Poser des limites est souvent culpabilisant (au début en tout cas) mais tellement nécessaire. Mieux vaut un médecin moins disponible et qui prend soin de lui qu’un médecin en burn out.

  3. Ping : Parcours au fil du temps : Kalindéa | En Aparté

  4. je travaille aussi sur rdv et le dernier est à 18h45 … (bon, il m’arrive de faire des exceptions pour des urgences mais c’est franchement rare, genre 5-6x/an)
    Après, il y a la garde s’il faut, il y a d’autres généralistes peut-être, mais mes patients y vont rarement. Je commence 1x / semaine à 7h15 pour les bios des « gens qui travaillent à la ville et qui prennent le train » Et voilà. Ca m’a pas mal handicapée je pense lors de mon installation qui fut lente. Mais actuellement, c’est géré. Et pour les rdv non urgents, il faut parfois compter 4 jours puisque je réserve des plages d’urgence à ne remplir que le jour même.
    Alors, oui, c’est parfois un peu compliqué pour certains, que je vois vraiment un peu trop rarement parce qu’ils postposent leur visite.
    Et en plus, je ne travaille même pas le samedi!

  5. Bonjour, je suis une MG bientôt installée, et je me pose les mêmes questions! Enfin, devant la secrétaire et les patients, je suis ferme, mais dans le fond parfois je n’en mène pas large. Pas évident d’être tiraillée entre 2 culpabilités: pas assez dispo pour les patients, pas assez dispo pour mes enfants… Mais je partage la réflexion plus haut, qui constate que la MG est en pleine mutation, et que les patients vont bien devoir s’y faire. Et au final, au gré de mes remplacements, les patients des cabinets qui « ferment » à 18h30 sont à mon sens les mieux soignés, et pas si mécontents!
    Quel dommage de voir qu’on a tous/toutes les mêmes préoccupations, et qu’on a du mal à en parler entre nous… Merci les blogs!
    Et merci aussi aux patients qui ont laissé des commentaires encourageants plus haut, ça fait du bien!

  6. Bonjour
    Intéressant ce post.
    En tant que patiente, je conçois tout à fait cette façon de fonctionner. Peut-être que mon expérience de salariée-à-bout-de-nerfs y est pour quelque-chose. Le burn-out surgit très vite et il convient de se ménager si l’on veut durer…
    Ma généraliste travaille à mi-temps et ses horaires ne sont pas élastiques. Pour les consultations prévisibles (renouvellement d’ordonnances, par exemple), je tâche de m’y prendre suffisamment tôt. Je n’ai pas encore été confrontée à une situation d’urgence mais je pense sincèrement que son mode de fonctionnement lui permettra de me consacrer suffisamment de temps (et d’écoute) si un jour j’en ai besoin.

  7. Bonjour, je suis moi aussi médecin généraliste. J’ai parcouru ton blog en diagonale. Je pense que nous avons tous des doûtes sur la qualité de notre travail et bien sûr il n’est pas toujours facile de composer entre famille et travail.
    Pour ma part, je suis installée depuis 4 ans dans un cabinet de groupe (nous sommes 3). Je ne travaille « que » 4 jrs par semaine (lundi, mardi, jeudi, vendredi). Je consulte de 9hs à 18h30 (au plus tard!!!). J’ai besoin de temps pr voir correctement les patients et de au bout d’un moment je sature et mes capacités d’écoute sont limitées… Je me dis que c’est aussi notre rôle « d’éduquer » les patients… même si ce n’est pas si simple.
    Tout ça pr te dire qu’il n’y a aucune raison de culpabiliser!

    Merci pr ton blog.

  8. Bonjour , c’est rare quand je poste un commentaire ( c’est pas bien je sais ) mais là j’ai vraiment envie de réagir … en tant que patiente
    Notre médecin ne consulte que sur rendez vous , depuis la naissance de son deuxième enfant elle ne consulte plus tout les jours … et alors ? mon compagnon ne veut pas voir le ou la remplaçante , il trouve son histoire médicale trop compliquée a expliquer , on sait que « notre » doc a une vie privée , qu’il y a des urgences plus importante que nous , on prend rendez vous parfois 6 ou 8 jours a l’avance , on sait quand cas d’urgence il y a des crénaux horaires auxquels on s’adapte
    Lorsqu’on prend rendez vous chez un spécialiste ou pour un examen ( scanner -radio … ) on laisse peu de choix au malade quand a l’heure et au jour du rendez vous , et tout le monde s’y fait , pourquoi un généraliste n’aurait il pas le droit de gérer son emploi du temps ?
    Vous allez trouvez votre rythme , j’en suis sure !

  9. Mais que ça a l’air intéressant ton histoire de triangle… faut que j’aille voir ça de plus près!
    Et je souscris complètement à ta décision : c’est important de fixer des limites, et de se préserver. Et d’essayer de sortir du syndrome du « mais si je fais ça je vais passer pour une flemmarde ». Je travaille trois jours par semaine, dernier rendez-vous « non urgent » à 19H. Les rendez-vous potentiels après cette heure-ci, c’est moi qui décide si je les donne ou pas. J’ai bloqué un tiers des créneaux de consultation de la journée pour les urgences du jour. Les délais de consultation pour les RDV non urgents s’allongent, mais au total, les patients prennent l’habitude de fixer les RDV à l’avance s’ils veulent les créneaux qui les arrangent, et ça me permet de ne pas commencer ma journée avec un planning déjà blindé. Et de travailler dans de meilleures conditions.

    J’espère que tu trouveras ton équilibre!

  10. Comme il est difficile de ne pas croire qu’on est indispensable. Comme il est difficile de trouver son propre équilibre entre ce qu’on pense devoir aux gens et ce qu’on peut en fait faire en pratique.
    Bon courage à toi. Tiens le cap.

  11. spé je travaille sur RDV (à 1 an d’avance) mais toutes urgences (vraies) acceptées en restant toujours joignable (ou presque) via mon portable pour les MG (y compris pdt mes absences vacances ou congrès)
    ce qui n’est pas négociable je l’ai fixé depuis longtemps : horaires d’ouverture relativement restreints (le dernier est chez moi aussi à 18h30 ce qui me permet de mettre le nez hors de mon cabinet à 21h parfois plus tard que mes voisins MG)
    qd on est seul dans un désert (c’est mon cas aussi)il faut ménager des « zones de sécurité » pour le cas où on tomberait soi mm malade (même les médecins tombent malades)
    et bien savoir que la force de travail diminue
    qd je me suis installé j’acceptais tt le monde rapidement : au bout de qq années je me suis fait « bouffer » par de fausses urgences, de la bobologie soit disant urgente, les exigences des gens ont augmenté.
    un jour j’ai dit stop ! je crois avoir trouvé depuis un équilibre même s’il m’arrive encore de me plaindre.
    pour te donner un exemple : souvent je prends un peu de retard malgré les RDV prévus assez larges quand la salle d’attente est pleine que j’entends les gens exprimer leur réprobation JE RALENTIS encore plus le rythme ce qui me permet de ne pas exploser .
    désolé d’avoir fait long

  12. Je suis passée d’une très grande commune à une toute petite commune en plein désert médical, et pourtant, le fonctionnement est quasi le même…
    Très grande commune : on avait un cabinet médical où chaque médecin avait une jour de congé dans la semaine. RDV toute la journée, avec une limite à 19h. Si tu veux un médecin en particulier, soit tu patientes au lendemain, soit tu te débrouilles pour prendre ton RDV de bonne heure. Mais si tu veux être reçu dans la journée, il y a toujours un médecin avec moins de RDV (celui qui arrive depuis peu au cabinet et qui n’a pas de patientèle attitrée).
    Petite commune : 4 médecins, 3 partent dans les 2 ans en retraite et ne souhaitent pas être médecin référent. Sauf que le 4ème n’est pas « bien » avec les enfants… Hé bien, on se débrouille, on prend RDV avec un de ceux qui veulent bien nous recevoir et on fait avec…

    Moralité : les patients se débrouillent toujours pour avoir un médecin, que celui-ci soit dispo ou non. Si le patient a réellement un besoin de consultation, il fera avec (soit il prendra un RDV et se débrouillera à se libérer/ou viendra le lendemain), sinon, ça aura le mérite d’écrémer tous ceux qui n’ont pas besoin.

    Moralité pour nous : on consulte quand on a réellement besoin.

  13. tout pareil que DocEmma, se preserver c’est necessaire si on veut eviter à long terme le burn out, tu n’arriveras jamais à contenter tout le monde mais le principal c’est de survivre dans cette jungle du libéral…

  14. Oh la la comme je le reconnais dans ton billet et ton témoignage! Je viens de passer le cap de l’installation, pour l’instant à mi-temps, à plein temps dans un an et après faut voir si je trouverai QQ 1 pour me faire 1 ou 2 j dans la semaine, c’est pas gagné. J’en suis à fixer les règles, et j’ai tellement peur de me faire déborder que je suis intransigeante. Certains n’apprécient pas mais n’ayant pas encore créé de liens avec eux, cela m’importe guère. C’est comme les profs en début d’année, ils sont sévères et après seulement ils s’adoucissent. Alors oui, impose ton 18h30 et tant pis pour les mécontents, ceux qui ne comprennent pas sont d’éternels insatisfaits. Tu n’es pas seule à avoir ces horaires. La médecine gé est en pleine mutation et la douche va être froide mais finie la conso de soins à tout va!
    Le secrétariat donne le dernier rdv à 18 h 15 et les gens qui travaillent et bien soient ils s’arrangent soient ils partent! Comment ont-ils pour aller dans les administrations ? C’est un faux problème, et ma journée s’étale sur 8à 10h, j’estime que c’est largement suffisant.
    Prend soin de toi!

  15. J’aime beaucoup ton billet et je te souhaite d’arriver à trouver ton équilibre pour t’éviter d’avoir à dévisser ta plaque…
    Moi j’ai choisi un exercice à mi-temps, on est 2, on partage le bureau. Je n’aurai jamais pu être à plein temps. Je ne pense pas que ce soit parce que je suis flemmarde mais juste parce que je suis consciente de mes limites et pour rester disponible pour les patients c’est la seule solution que j’ai trouvée.
    Quant aux horaires, le dernier rendez_vous est à 19H30. Point. Ce n’est ni négociable, ni discutable… Parfois en plein hiver il m’arrive de rajouter une ou 2 urgences après 19H30 (souvent des bébés qu’il faut vraiment voir) mais c’est assez rare finalement. Après il y a la MMG ou SOS médecin mais je sais que c’est facile de dire ça quand on exerce dans une grande ville…
    Fixe toi 18H30, si c’est pour toi ton équilibre, les gens s’adapteront et les mécontents iront ailleurs… Finalement il vaut mieux un médecin qui finit à 18H30 qu’un médecin qui dévisse sa plaque, non?

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